France : commencer par raisonner la main-d’œuvre
Le choix de l’éleveur entre l’automatisation ou le recours à des salariés est déterminant pour la conception du bâtiment. Il l’est aussi pour le montant des investissements.
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Les projets de bâtiments pour plus de 200 vaches et capables d’évoluer jusqu’à 500 restent peu fréquents en France. Mais certains éleveurs y réfléchissent, entre autres en Ille-et-Vilaine.
Pour Martial Aymard, la première réflexion, celle qui oriente réellement le projet, concerne la main-d’œuvre. « À cette échelle, le chef d’exploitation a d’abord une fonction de gestionnaire, de chef d’entreprise. » Il lui appartient donc de décider de l’organisation du travail en choisissant entre deux options : l’automatisation ou l’embauche de salariés. Le chef d’exploitation doit également être le maître du projet. Mais la complexité des démarches et la multiplicité des décisions à prendre justifient qu’il s’appuie sur d’autres compétences.
Le projet démarre aussi avec une analyse fine du site choisi. Les bâtiments existants doivent être intégrés à la réflexion. La localisation des tiers et des éventuels cours d’eau a un impact sur les évolutions futures. L’accès au pâturage doit être préservé, au cas où il deviendrait un jour obligatoire. De plus, il est tout à fait possible de maintenir le pâturage pour 200 vaches. L’autonomie alimentaire représente un atout que les éleveurs français ont intérêt à conserver. Mais il est vrai qu’avec 500 vaches, le besoin en surface accessible devient trop important pour continuer à pâturer.
Conception : plusieurs pôles spécialisés
Il faut concevoir le bâtiment comme un investissement pour plusieurs générations. Même si l’on souhaite construire pour 200 vaches, il faut anticiper le fait que le successeur voudra peut-être doubler. Reconstruire tout à neuf à chaque génération coûte beaucoup trop cher.
L’ensemble doit être raisonné en différents pôles distincts : les vaches en production, les taries et fraîches vêlées, la traite, les veaux, les génisses, les effluents et les stocks. L’éventuel agrandissement de chacun doit être pensé dès le départ. Il s’agit de rationaliser le travail et les circuits. Mais aussi de gérer les risques, sanitaires notamment. L’ensemble doit être clôturé et l’accès aux différentes zones limité pour les personnes venant de l’extérieur. Les bâtiments doivent être espacés de 20 à 25 m pour permettre une bonne ventilation dans chacun.
Ventilation : des bâtiments ouverts
Les vaches ont besoin d’air et de lumière, elles ne craignent pas le froid. Il faut donc ouvrir les bâtiments. Avec des climats bien plus rigoureux, les éleveurs du nord de l’Europe et des USA privilégient les rideaux brise-vent amovibles. C’est un peu plus cher que le bardage en bois. Mais c’est nettement plus efficace pour assécher le bâtiment en hiver et le rafraîchir en été. L’ouverture du filet par le haut est intéressante pour ventiler sans créer de courant d’air sur les animaux. « C’est un peu plus cher, mais cela fonctionne mieux. » Les bardages complètement fermés (type suédois) sont à proscrire pour les zones de logement. En matière de conception, le choix du système de traite est déterminant. La question du temps consacré à la traite ne se pose plus de la même manière. L’objectif de ne pas dépasser une heure à cette tâche ne tient plus. Comment espérer amortir une 2 x 30 postes pour 500 vaches ? Ailleurs, les salles de traite tournent souvent plus de dix heures par jour. De même, les robots et les salles de traite rotatives coûtent très cher. Le recours à une main-d’œuvre salariée permet de réduire l’investissement et de mieux l’amortir. D’une manière générale, les salariés coûtent moins cher que l’automatisation. Il appartient à l’éleveur de choisir entre le robot, le roto, ou la salle de traite. Mais il doit être bien conscient de l’impact de ce choix sur le montant de l’investissement. Il faut aussi réfléchir à la fréquence de traite. Pourquoi ne pas opter pour trois traites par jour ?
Salariés : apprendre à les motiver
L’organisation avec des salariés sera plus ou moins simple en fonction de l’effectif. Dans l’objectif de fidéliser les personnes, il faut envisager la rotation des tâches, éviter qu’un salarié ne fasse que la traite, huit heures par jour. C’est plus facile quand on arrive à 400-500 vaches. « Entre 200 et 300 vaches, on est dans le ventre mou sur le plan de l’organisation du travail des salariés. » Pour motiver leurs employés, les Américains proposent des primes sur objectif. En fonction de la qualité du lait par exemple, ou encore du taux de mortalité des veaux.
L’organisation de la traite et la conception du bâtiment sont interdépendantes. Car à partir de quelques centaines de vaches, elles doivent venir à la traite en lots. La circulation des animaux et donc la taille des lots et celle de l’aire d’attente en découlent.
« Il faut raisonner en termes de temps d’attente pour les vaches à la traite en visant un maximum de deux heures. D’autre part, on constate que le stress social de l’animal augmente à partir de 70-80 vaches selon l’animal. » Pour limiter le stress, constituer les lots en fonction de l’âge est une bonne option. Les vaches sont ainsi toujours dans le même groupe et ne subissent pas le stress du changement.
Les circuits doivent être particulièrement étudiés pour éviter l’interruption de la traite entre deux lots. Les zones de circulation se placent en bout, voire au milieu du bâtiment. Pour faciliter le nettoyage, on construit souvent des fosses sous caillebotis à ces endroits. Un surcoût non indispensable. Les Anglais raclent partout au tracteur.
Alimentation : une place par vache à l’auge
Pour l’alimentation, Martial Aymard préconise une place par vache à l’auge, avec des cornadis. Certes, quand les troupeaux ne sortent plus en pâture, la rotation à l’auge s’effectue sur une plus longue durée qui peut laisser penser qu’une place par vache n’est pas nécessaire. De plus, avec une table d’alimentation centrale, prévoir une place par vache à l’auge implique de se limiter à deux rangées de logettes de chaque côté. Or, le raisonnement plus économique pousse à en mettre trois.
« Il faut penser à la contention. Et aussi à la concurrence entre les animaux, plus marquée dans les grands troupeaux », souligne Martial. Selon lui, le surcoût des cornadis reste modéré, de 40 €/place. De même, il conseille de prévoir une logette par vache. « C’est quand elles se reposent que les vaches produisent leur lait. » Martial Aymard conseille de choisir des logettes réglables. « Le gabarit des vaches pourrait évoluer dans l’avenir. On sait que les grandes vaches ne sont pas les plus rentables. » Et il préfère éviter les fosses sous caillebotis car les normes de volume de stockage des effluents sont susceptibles d’évoluer. Mieux vaut prévoir des fosses extérieures en évitant de les placer en bout de bâtiment pour ne pas bloquer les évolutions futures.
Litière :pas de modèle
Le sable, matériau inerte, drainant et confortable, répond très bien aux impératifs de confort des logettes. Mais comment gérer les effluents ? Cette option est rarement retenue en France car elle n’est pas compatible avec les racleurs automatiques. La phase solide du lisier, issue d’un séparateur, semble se développer aux USA pour les litières. Mais cette pratique n’est pas idéale sur le plan sanitaire. Quelques éleveurs se lancent néanmoins. Avec des logettes creuses ou des matelas, le nettoyage des logettes doit être réalisé deux à trois fois par jour, ce qui demande du temps. Encore une fois, il n’y a pas de règle absolue pour le choix des litières. Le choix d’une intervention manuelle, mécanisée, automatique, voire offrant une évolutivité des installations est déterminant. Martial Aymard constate qu’une partie des éleveurs opte pour des logettes paillées à 5 kg. Il voit aussi de plus en plus de matelas, avec des résultats mitigés.
Lumière : chercher unetempérature homogène
En ce qui concerne l’éclairage, il faut privilégier une lumière et donc une température homogènes dans le bâtiment. La tendance n’est plus à la multiplication des translucides sur le toit. S’ils laissent entrer une belle luminosité en hiver, ils favorisent une température élevée en été. Le seuil à ne pas dépasser est de 10 % de la surface en translucides. Et il faut s’assurer que la chaleur ne viendra pas sur le couchage. De même, les dômes sont efficaces pour faire entrer la lumière. Mais eux non plus ne doivent pas permettre un rayonnement direct sur les logettes. La lumière naturelle peut très bien entrer aussi par les longs-pans sur le côté, voire par les pignons.
L’agrandissement éventuel peut être envisagé de deux manières, selon Martial Aymard : en allongeant le bâtiment, ou en l’élargissant. Le bloc de traite doit être positionné dans cette optique. En présence de robots, l’option la plus fréquemment choisie, il faudra élargir le bâtiment s’ils sont au centre, ou l’allonger s’ils sont à une extrémité. L’élargissement du bâtiment est possiblev à condition de bien penser à la ventilation. Décaler la toiture permet de faciliter l’extraction de l’air.
Coûts : les économies d’échelle ne sont pasévidentes
En matière de coûts, Martial Aymard constate qu’il y a peu d’économies d’échelle entre 200 et 500 vaches. « On reste autour de 6 000-7 000 €/place alors qu’il faudrait viser 5 000 €. Cela s’explique par une tendance au suréquipement plus marquée en France que chez nos voisins. L’investissement sur le bloc de traite reste lié à un objectif de durée à ne pas dépasser. » Les économies d’échelle pourraient venir de l’achat des matériaux à plusieurs. En théorie, la démarche est intéressante à partir de 4 ou 5 exploitations.
Encore faut-il trouver une entreprise de la construction qui accepte de ne fournir que la main-d’œuvre. À l’échelle d’une seule exploitation et si, dans sa démarche, l’éleveur a prévu un plan d’investissement sur plusieurs années, il faut anticiper les évolutions futures de façon à éviter les surcoûts. Il peut s’agit de prévoir l’emplacement d’un nouveau robot, par exemple. Éviter les surcoûts futurs, c’est-à-dire déterminer quels travaux sont bons à anticiper (emplacement de futurs robots par exemple), lesquels sont inévitables mais demandent une solution intermédiaire, facilement modifiable, voire modulaire, pour garantir l’évolutivité. Aujourd’hui, l’éleveur laitier, maître d’ouvrage d’un projet bâtiment, en assure aussi la maîtrise d’œuvre. À ce titre, il en assume les responsabilités non seulement en matière de coûts et de délais, mais aussi de bon achèvement. Demain, au regard des investissements, les organismes de crédit demanderont plus de garanties pour sécuriser les financements. Aussi, pour tenir les délais de réalisation choisis, respecter le budget d’investissement et garantir la viabilité de son outil de production sur le long terme, l’éleveur devra intégrer cette maîtrise d’œuvre dans le montant de son investissement. Cette approche est déjà en place dans les secteurs hors sol depuis plusieurs années.
Pascale Le CannPour accéder à l'ensembles nos offres :